Tante la Blanche Tiré de Thomas Albert, Histoire du Madawaska, Québec, Imprimerie Franciscaine Missionnaire, 1920, p. 123-125. L'année 1797 est connue, dans les annales du Madawaska, comme l'année de la grande disette ou année de la misère noire. Après la dernière gelée de l'automne de 1796, pour comble d'infortune, les débris de la récolte furent ensevelis sous une neige précoce immédiatement suivie d'un des hivers les plus durs. Bon nombre des habitants se refugièrent au Saint-Laurent ou à Frédéricton pour passer l'hiver. Ceux qui demeurèrent, vécurent exclusivement de chasse et d'herbages. À la fin d'une longue période d'attente et d'angoises, alors que les hommes étaient partis à la chasse et que la neige tombait sans cesse depuis huit jours, les vivres vinrent à manquer. Les dernières mesures de blé bouilli étaient épuisées, la dernière vache laitière avait été tuée... et les chasseurs ne revenaient pas. C'est pendant ces longs jours de faim et d'anxiété que Marguerite-Blanche Thibodeau, épouse de Joseph Cyr, accomplit des prodiges d'héroïsme et de charité. Douée d'une force herculéenne et d'une charité aussi robuste, elle fut l'ange protecteur des faibles, des infirmes, des affamés de la colonie éprouvée. Montée sur des raquettes, traînant un lourd bagage de vêtements et de provisions dont elle se privait ou que sa charité lui faisait trouver, elle allait, de la porte du plus riche à celle du plus pauvre, porter la nourriture et la vie avec un rayon d'espérance. Ensevelissant les morts, arrachant à la tombe les victimes qui allaient y descendre sans son secours inespéré, elle prodiguait ses soins, relevait le moral de ceux qui se laissaient abattre par l'infortune et la faim. Enfin, un soir, les absents revinrent, rapportant un compagnon mort de froid et de privations et un autre mourant, mais aussi quelques provisions : la colonie était sauvée. Tante la Blanche, quand toutes ses uvres de miséricorde furent connues, devint l'objet d'une vénération générale qui tenait du culte. Elle guérissait les malades, chassait les sorts, trouvait les objets perdus, reconciliait les ennemis, donnait la chance par ses souhaits. Sa plus grande prérogative était de ramener les endurcis, les jureurs, les renards, à la piété la plus tendre, à la vie la plus exemplaire. Ses rudes semonces, et quand celles-ci ne suffisaient pas la menace de son redoutable poing, avaient raison des plus invétérés ivrognes qui la craignaient plus qu'un évêque ! Aussi plus d'une hirsute moustache se mouilla de larmes quand on descendit la tante dans sa tombe quasi-royale. Madame Cyr était la tante véritable d'un grand nombre de jeunes familles du Madawaska. LeBlanc par sa mère, elle était la petit-fille de René LeBlanc, notaire de Grand-Pré, immortalisé par Longfellow. Décédée en 1810, elle fut, à cause du dévouement qu'elle avait montré pendant cette famine, inhumée dans l'église de Saint-Basile, privilège sans précédent jusqu'alors et accordé à peu dans la suite. On l'appelait tante la Blanche, et par extension elle devint la tante de tout le monde, la tante du Madawaska. |