L'acadianité du Nouveau-Brunswick

Tiré de Léon Thériault, La question du pouvoir en Acadie. Essai, Moncton, Éditions d'Acadie, 1982, p.60-61.

J'ajouterai aussi que l'acadianité, cela peut s'acquérir et cela peut se perdre, ainsi qu'il en est de toute identité culturelle. Certains voudraient nous faire croire que l'identité acadienne est un caractère indélébile, qui ne se perd jamais et qui, de surcroît, ne saurait s'acquérir. Il s'agirait en quelque sorte d'un cercle fermé d'où personne ne sort et où personne ne pénètre. Vision de société figée s'il en est une ! Pour ma part, je suis d'avis que l'on peut devenir acadien, comme l'on peut devenir québécois de langue française, madawaskayen, canadien, américain ou allemand. Je suis aussi d'avis que l'on peut cesser d'être acadien, tout comme l'on peut cesser, à la longue, d'être canadien, allemand, italien ou québécois. Ces renversements peuvent se faire au cours de la vie d'une personne, mais se manifestent peut-être plus souvent au cours des générations. Pourrait-on me dire pourquoi l'acadianité échapperait à cette loi universelle ? De sorte que, de mon point de vue, il faut distinguer entre les Acadiens, c'est-à-dire ceux qui sont encore francophones, et ceux qui sont d'origine acadienne. Comment, en effet, considérer comme Acadiens des citoyens qui sont, en réalité, des Canadiens anglais ? Il existe des francophones qui, quoique nés ailleurs, habitent le Nouveau-Brunswick depuis plus d'un quart de siècle et ont l'intention d'y mourir. Ces personnes qui ont donné le meilleur de leur vie à la cause de l'éducation française dans cette province se font dire, malgré leurs efforts pour s'intégrer à la société acadienne, qu'ils ne sont pas des nôtres ! Et à côté se trouvent de purs anglophones qui n'ont d'acadien que les noms LeBlanc ou Cormier, mais que l'on persiste à compter comme faisant partie de notre groupe culturel. Quel renversement des valeurs !

Dans mon esprit, donc, l'acadianité du Nouveau-Brunswick inclut toutes les expériences individuelles et collectives des francophones de cette province, peu importe l'origine de ces personnes. Et il est heureux qu'un nombre croissant de francophones aient compris cela et que l'on n'y voie pas une visée impérialiste. On aura remarqué que par Acadien, j'entends aussi des personnes qui ne sont pas de langue maternelle française. Eh bien oui ! Comment exclure de cette notion, par exemple, des enseignants nés en Arabie ou en Chine, qui ont donc soit l'arabe ou le chinois comme langue maternelle, mais qui enseignent en français dans des institutions francophones de cette province, qui vivent en français, dont les enfants fréquentent l'école acadienne, qui sont devenus des citoyens canadiens, qui se considèrent solidaires de nos luttes et qui acceptent qu'il y ait un projet collectif pour les francophones du Nouveau-Brunswick ? On me rétorquera que cette catégorie de personnes est parfois lente à se manifester comme acadienne. Evidemment ! Il se trouve tellement peu d'Acadiens « pure laine », si je puis employer cette expression, pour témoigner du désir de notre société de les intégrer comme Acadiens et Acadiennes !