De la langue d'oïl au parler acadien

Tiré de Louise Péronnet. Le parler acadien du Sud-Est du Nouveau-Brunswick. Éléments grammaticaux et lexicaux. New York, Peter Lang, séries 6, vol. 8, 1989, p.13, 15-16.

Cette étude vise à démontrer le rattachement du parler [acadien traditionnel du Sud-Est du Nouveau-Brunswick] aux parlers français d'oïl, d'origine gallo-romane. En effet, même si le parler acadien s'est développé de façon isolée pendant plusieurs siècles, à la fois loin du Québec et loin de la France, il reste malgré tout très proche des parlers français dont il tire ses origines, en particulier ceux du Centre-Ouest de la France.

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Au plan phonétique, le parler décrit s'écarte du FS [français standard] à plusieurs points de vue. Il possède des variantes qui lui sont propres : les affriquées [tj] et [d], variantes combinatoires, soit de /kl et /g/ qui se palatalisent devant une voyelle antérieure, soit des groupes /ti/ et /di/ qui se palatalisent devant une autre voyelle (même devant /a/ et //, par exemple dans ([db] diable et [dam] diamant). Ces affriquées sont typiques du parler acadien traditionnel ; on les rencontre surtout chez les Acadiens de la génération âgée : /k/ devient [tj] dans [tji] qui, [tjø] queue,[tjylt] culottes ; /ti/ devient aussi [tj] dans [tjd] tiendre (tenir), [tjd] tiède ; /g/ devient [d] dans [dl] gueule, [dp] guêpe, [dr] guerre ; /di/ devient aussi [d] dans [d] Dieu, [dab] diable, etc. Ces variantes n'apparaissent pas uniquement à l'initiale de mots. On les rencontre ailleurs, dans [pitje] pitié, [akad] acadien, etc.

Du point de vue des caractéristiques phonétiques générales, le parler acadien manifeste des différences assez importantes avec le FS si on part des traits suivants, décrits par Delattre (1966) comme étant propres au français, à savoir le mode tendu, le mode antérieur et le mode croissant. Dans le parler acadien, le mode n'est pas toujours tendu ; par exemple, les voyelles /i/, lyl et /u/ sont réalisées avec un timbre relâché et moins fermé qu'en FS, sous l'influence d'une consonne forte qui suit, par exemple dans [vit] vite, [polis] police, [bt] butte, [kd] coudre. Quant au second trait important du français, le mode antérieur, il n'est pas aussi caractéristique du parler acadien à cause principalement de la fréquence élevée des [] postérieurs dans ce parler. Enfin, le mode croissant, qui favorise d'une part la détente des consonnes finales et qui empêche d'autre part la diffusion de la nasalité, n'est pas, lui non plus, caractéristique du parler acadien. En effet, les consonnes finales se réalisent souvent sans détente de sorte que les occlusives sont généralement implosives plutôt que explosives en finales absolues, c'est-a-dire que la bouche ne s'ouvre pas toujours après l'occlusive. Ce trait phonétique expliquerait la très faible occurrence des groupes finals occlusive + consonne dans le parler décrit. Ceux-ci sont presque toujours réduits à une seule consonne, par exemple dans /buk/ boucle, [g] aigle, /fab/ fable, etc. Pour ce qui est de la diffusion de la nasalité, citons les exemples [:n] Jeanne, [:ne] année,
[fl:m] flamme.

La plupart de ces traits phonétiques sont des survivances du français d'autrefois (16e siècle surtout) et se retrouvent aujourd'hui, soit en français populaire, soit en francais régional de l'ouest, notamment celui du Centre-Ouest.