Assimilation et acculturation en Ontario

Ainsi, bien que la minorité franco-ontarienne ait réussi à refaire son sous-système social en milieu urbain et industriel, elle n'a pas pour autant échappé à l'acculturation. En effet, le système culturel traditionnel est devenu impraticable depuis l'urbanisation des Franco-Ontariens. Le système de valeurs a changé : arraché à la terre, le Franco-Ontarien entretient de nouvelles aspirations économiques et sociales. Les logements exigus de la ville l'ont forcé à modifier sa conception de la famille. Les lois ontariennes (droit coutumier) ont transformé ses attitudes, son comportement. Le droit ontarien régit son mode de vie familiale, ses loisirs, ses intérêts économiques et sociaux. Aussi, sur le plan des valeurs, il est acculturé par le système juridique (ensemble de normes). Enfin, étape finale de l'acculturation, beaucoup de Franco-Ontariens, objectivement (parce qu'ils sont isolés géographiquement) et subjectivement (parce qu'ils croient pouvoir grimper plus facilement l'échelle sociale), délaissent l'usage de la langue française et s'assimilent ou s'acculturent linguistiquement. Ce dernier degré de l'acculturation a toujours préoccupé l'élite franco-ontarienne, car c'en est la forme la plus visible et la plus vérifiable, ce qui ne signifie pas que les autres formes d'acculturation n'aient pas atteint beaucoup de Franco-Ontariens. Au contraire, on a plutôt l'impression qu‘une bonne proportion de la communauté franco-ontarienne partage la même culture que les Ontariens, tout en parlant une langue qui, elle, se voit parfois réduite à un assemblage de mots français accordés selon les règles de la syntaxe anglaise.

En somme, une fraction importante de la communauté franco-ontarienne est impliquée dans le dernier stade d'acculturation (la perte de la langue), plus dans les régions isolées, moins dans les régions frontalières du Québec, soit le Nord et l'Est de l'Ontario. L'évolution historique de ce processus peut se mesurer. En 1961, le taux d'assimilation linguistique chez les jeunes de quinze à dix-neuf ans, donc nés entre 1941 et 1946, était de 34.6 pour cent ; celui des 0-4 ans (nés partir de 1956) était de 49 pour cent. L'acculturation linguistique des Franco-Ontariens, dans les régions autres que l'Est et le Nord-Est semble se réduire à un problème de générations (Voir Tableau III, p. 43). En effet, l'Ontario est une société hautement industrialisée (post-industrielle, diraient certains) où les emplois dans les secteurs « primaire » (agriculture) et « secondaire » (industrie) sont appelés à diminuer au profit du secteur « tertiaire » (les services). Or justement, les emplois dans le secteur « tertiaire » exigent l'utilisation croissante de la communication écrite et parlée. Par conséquent, puisque déjà la participation des Franco-Ontariens au secteur « primaire » subit une baisse (7.7 pour cent) et que les Franco-Ontariens ne veulent pas former le prolétariat ouvrier, il devient inévitable qu'ils veulent eux aussi, en masse, s'intégrer au secteur « tertiaire ». Ces aspirations les amènent à poser le choix final : le « tertiaire » et l'acculturation linguistique, ou le « primaire » et le « secondaire » sans, peut-être, l'acculturation linguistique.

Pour passer aux emplois du secteur « tertiaire », en effet, il faut justement un degré de scolarité plus élevé. Or, jusqu'à ce jour, l'enseignement dans les écoles secondaires publiques se donne surtout en anglais. Les nouvelles écoles secondaires publiques françaises doivent ainsi relever le défi formidable de former des jeunes qui pourraient chercher à atteindre en même temps et le mieux-être économique et le mieux-être culturel, sans les placer dans l'obligation d'avoir a choisir entre les deux.

Tiré de Roger Saint-Denis, La vie culturelle des Franco-Ontariens, Ottawa, Rapport du comité culturel des Franco-Ontariens, 1969, p. 40-42.