Franco-Torontois et Franco-Ontarien Né à Toronto de parents québécois, ou comme on disait à l'époque, de parents canadiens-français, j'ai fait comme bon nombre de ceux-ci : j'ai fréquenté les écoles de langue anglaise pour préparer mon avenir, et l'avenir, tel que mes parents le pressentaient, se déroulerait en anglais. Petit à petit les conversations au foyer sont devenues des conversations « bilingues » où les parents parlaient français et les enfants répondaient en anglais. Après quelque temps, l'anglais prévalut. Nous étions devenus, sans tambour ni trompette, des « Canadians », sans qu'aucun indice, du moins en ce qui concerne les enfants, ne vienne trahir notre différence. Je vous fais grâce d'un long cheminement, sauf pour noter que je n'ai pas parlé un seul mot de français entre 6 et 22 ans, si ce n'est l'ânonnement réglementaire de nos cours de français, langue seconde. À un moment donné, je me suis rendu compte que j'avais perdu une partie de moi-même. Cette prise de conscience fut probablement le fruit d'un long cheminement intérieur dont j'avais été à peine conscient. Je me souviens toutefois du jour où cette vérité me frappa de plein fouet. J'étais étudiant à Paris et je vivais en résidence avec une dizaine d'étudiants américains et canadiens. Pourquoi diable avais-je décidé de faire des études en France ? Quoi qu'il en soit, j'avais l'habitude de passer quelques minutes chaque jour à converser avec la cuisinière. Originaire de la Lorraine, elle était une de ces personnes dont l'intelligence dépasse largement le degré d'instruction. Nous avions donc l'habitude de « jaser » comme on dit au Canada français, c'est-à-dire passer du coq à l'âne en frôlant parfois le grivois sans tomber dans l'indécence. Un jour, Madame Schima m'annonça que, de tous les étudiants, j'avais le plus l'esprit français. C'est alors que je reconnus avoir conservé, au-delà de mon assimilation linguistique, des schèmes de conversation et de pensée qui remontaient à mes années d'enfance. Je pris alors la ferme décision de redevenir francophone. Je passe sous silence les longues années qui furent nécessaires avant que je ne me sente assez à l'aise en français. Mais il ne suffit pas de se proclamer français, il faut en plus être reconnu comme tel. Ironie du sort, j'ai compris, beaucoup plus tard, à Sudbury, mon appartenance à une communauté lorsqu'on commença à m'appeler non pas Normand, comme on avait fait pendant quelques années, mais Norm (prononcé à l'anglaise !). Les règles sociolinguistiques de la région de Sudbury voulaient que tout diminutif se fasse à l'anglaise : Georges devient George, Richard devient Rick, Roger devient Rog, même lorsqu'il s'agit de francophones. On peut sourire devant ce recours à l'anglais pour indiquer la familiarité, mais il s'agit en fait d'une règle qui signale aux uns et aux autres que l'on fait partie du groupe. Donc, je suis Franco-Torontois parce que je suis né à Toronto et Franco-Ontarien parce que j'ai choisi de l'être et qu'on m'a accueilli. Cette petite introduction autobiographique me permet donc de souligner quatre éléments constitutifs de l'identité franco-ontarienne : il existe un élément objectif, à savoir le lieu géographique, un élément subjectif, à savoir le sentiment d'appartenance à un groupe, un élément sélectif, car on peut ne pas vouloir faire partie du groupe, et un élément linguistique, à savoir la langue française, même si elle est touchée, voire contaminée, par l'influence de l'anglais. Tiré de Normand Frenette, « Franco-Torontois et Franco-Ontarien : cheminements individuels et collectifs », Revue de l'Université d'Ottawa, vol. 15, n° 2, 1985, p. 151-152. |