La francité subordonnée au bilinguisme

La pratique quotidienne démontre amplement que la langue française, celle des Franco-Ontariens, souvent restreinte à la sphère privée et réservée à l'école et à la famille, est dévalorisée par rapport à l'anglais, langue publique et mondiale. La francité est alors légitimée par le bilinguisme : la langue et la culture françaises sont des valeurs dominantes si elles sont rattachées à la connaissance et à la maîtrise de l'anglais. Elles ne sont pas en elles-mêmes des valeurs fondamentales. La francité est liée et subordonnée au bilinguisme : je suis francophone, mais bilingue ; je fréquente l'école française, mais elle est bilingue ; l'écriteau présente un texte en français, mais il est accompagné d'une version anglaise. Le français a rarement droit de cité par lui-même ; il est d'ailleurs très souvent une langue de traduction. La réalité s'appréhende et s'exprime par l'anglais avant d'être traduite en français.

C'est la quatrième rupture : dans l'univers du bilinguisme franco-ontarien, la langue française, qui était déjà dévalorisée et régionalisée, est maintenant dissociée de la culture française. Le français, langue maternelle, devient effectivement une langue seconde, enseignée comme un outil de communication, mais un outil peu efficace dans le contexte ontarien. Pour plusieurs francophones, l'anglais, qui était la langue seconde, se transforme en langue première, celle qui exprime les réalités fondamentales de la vie, celle dont les mots portent une charge émotive, celle qui baigne dans une culture et une histoire, en d'autres mots, la langue de Shakespeare. Molière est rentré à Versailles. De la bilinguisation de l'univers culturel, nous passons à la secondarisation de la langue française.

Tiré de Roger Bernard, « La culture éclatée », Liaison, n° 73, septembre 1993, p. 14.