La maison de Jacques Baby

Le moulin Baby a maintenant disparu, mais la maison construite par Jacques Baby au coin des rues Mill et Russell existe toujours. C'était sans doute l'une des demeures les plus élégantes de la région, qui se distinguait d'autant plus des autres que la majorité des premiers bâtiments le long de « La Petite Côte » étaient des fermes simples et d'aspect pratique. La maison, construite probablement vers 1807 ou 1808, a subi des modifications à l'extérieur au cours des années. Son style colonial anglais, le georgien, déçoit, car il masque le fait que cette maison fut construite en employant la méthode canadienne-française à colombage.

L'ancêtre de la maison à colombage de la Nouvelle-France est la maison médiévale de la partie nord-ouest de l'Europe, dont la moitié est construite en bois. Les ouvriers commencent par monter un cadre de bois, puis y placent des poteaux verticaux dans chacun des quatre murs et comblent enfin les espaces intermédiaires avec de la pierre et du mortier. Ce type de construction, connu sous le nom de « colombage pierroté », était surtout employé dans les maisons de Québec vers les 1650 et était très courant a Louisbourg au cours du XVIIIe siècle. Le bois étant en grande abondance sur ce continent, dans la version canadienne du colombage, les poteaux verticaux avaient tendance à être placés à espaces plus rapprochés que dans la version européenne.

La demeure des Baby, une maison de deux étages et demi, comprend 11 pièces et mesure environ 12 mètres sur 15. Une vue latérale de la maison inclut une portion du mur de la cave, fait en pierre et épais d'un mètre. De cet angle avantageux, on remarque la proximité de la rivière qui, comme nous le verrons plus loin, jouait un rôle important dans les affaires de Jacques Baby. La côte, paraît-il, était même plus près à l'origine qu'elle ne l'est maintenant ; elle est à l'heure actuelle transformée par l'énorme remblai ajouté à la rive, vers les débuts du siècle.

On dit que bon nombre de personnages importants ont franchi le seuil de la demeure de Jacques Baby ; parmi eux, le chef amérindien Técumseh et Sir Isaac Brock. Ce dernier, paraît-il, occupa la maison pendant la Guerre de 1812 et y reçut les conditions de la reddition de Détroit, qui furent rédigées dans ces lieux. Au-dessus de la porte d'entrée qui donne sur la rivière, on peut voir une fenêtre en forme d'éventail faite d'un verre datant des premières années de la colonisation. Ce qui distingue ce verre, c'est sa teinte bleu pâle ou iridescente, et le fait qu'il ne soit pas parfaitement uni, mais présente des irrégularités et des bulles. Au cours du XIXe siècle, l'amélioration des méthodes de fabrication du verre permit la production de plaques de plus en plus grandes. Il est donc possible de juger de la date de construction d'une maison d'après le nombre de panneaux de ses fenêtres, puisque dans les premiers temps de la colonisation, le verre n'était fabriqué qu'en petits morceaux.

Sur la face extérieure de la porte d'entrée se trouve un beau heurtoir de cuivre en forme d'urne grecque classique ; il a certainement été importé au moment de la construction de la maison. La porte principale est massive ; elle est formée de trois couches de planches et la lourde serrure, avec sa clé faite à la main, assure une complète protection contre tout intrus ou tout personnage indésirable.

Jacques Baby a construit sa maison pour qu'elle serve aussi de comptoir d'échange. Dans la grande entrée, qui était aussi la pièce où se faisaient les échanges commerciaux, on peut encore voir un crochet de fer, auquel était suspendue une balance pouvant peser jusqu'à deux mille livres de fourrures. Les Amérindiens pratiquant ce commerce venaient souvent très tôt dans la journée et aimaient s'installer autour de la cheminée du salon avant d'entamer les discussions d'affaires avec le propriétaire de la maison.

Tiré de Tiré de Karen Stoskopf Harding, Architecture française en Ontario, Sudbury, Prise de Parole, 1987, p. 62-63.