Conséquences sociales du soulèvement de 1885 Tiré de Diane Payment, « Les gens libres - Otipemisiwak », Batoche, Saskatchewan, 1870-1930, Ottawa, Lieux et parcs historiques nationaux, Service des parcs, 1990, p.70-71, 73-74. Il semble que la consommation excessive d’alcool soit liée à la situation progressivement désavantageuse des Métis. À Batoche et dans les environs, on rapporte de plus en plus de cas d’ivrognerie après 1885. Cette tendance se manifeste aussi chez le clergé, mais pour d’autres raisons. Plusieurs témoignages suggèrent que chez les Métis la situation économique et sociale est particulièrement pénible durant ces années. La boisson permet d’échapper à la triste réalité d’un peuple « conquis », d’une économie disloquée et d’une société forcée à se replier sur elle-même. Le cas de Xavier Letendre qui boit de plus en plus est particulièrement révélateur. Letendre jouit de beaucoup de prestige à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté. Il réussit bien dans les affaires. Mais il subit aussi beaucoup d’épreuves : la mort prématurée de plusieurs de ses enfants et l’échec social de certains de ses fils. Le problème est encore pire pour la première génération née en Saskatchewan, durant les années 1870 et 1880, celle qui atteint l’âge adulte durant les premières décennies suivant l’insurrection ; elle est encore plus désorientée et elle réagit plus fortement que la précédente. C’est le cas de John (Jean) Letendre, fils de Xavier, né en 1876, qui a fait des études au collège de Saint-Boniface et qui a travaillé comme instituteur pendant quelque temps. Il traverse néanmoins une période critique vers 1895-1910 et on trouve plusieurs références à « ses brosses » dans les documents d’époque. Selon le témoignage d’une personne qui était à l’école de Mlle Dorval à Batoche (vers 1910), Mlle Dorval avait interpellé John allongé devant le presbytère. Le compte rendu suivant laisse percer l’exaspération et même le profond désespoir du jeune homme : « John Letendre était en brosse, " blousé comme un chien ", couché devant le presbytère. Mlle Dorval [l’institutrice] le trouva là. Elle se planta à côté de lui et dit : " Qu’ est-ce que tu penses John ? " Elle dit : " Boire de même, comment est-ce que tu as le temps de vivre. Et à l’heure de ta mort, comment ça va arriver. Tu bois tant ! " John répondit : " Survivra qui pourra, Mlle Dorval. Moi je m’en sâpre bien ! " » […] L'abandon de sa famille est peut-être un moyen d'échapper à une situation domestique intenable. Il se peut aussi qu'à cause de difficultés financières, certains hommes abandonnent leur foyer pour chercher du travail ailleurs, dans l'espoir de revenir à leur famille si leur situation s'améliorait. Le comportement de Joseph Parenteau qui abandonne son épouse, Julie Ross, et leurs deux enfants, en 1898, est un exemple. Son beau-père, John Ross, dépose une plainte à la Gendarmerie du Nord-Ouest à Duck Lake. L'agent Hopper fait un compte rendu de l'incident au commandant de Prince-Albert : « Un cultivateur métis, John Ross, vivant à six milles environ, au sud-est de Duck Lake, s'est plaint que son gendre, Joseph Parenteau, était parti pour Medecine Hat, laissant son épouse et ses deux jeunes enfants sans moyens de subsistance. Selon Ross, Parenteau était un type dépravé et ivrogne qui avait vendu une charrette, une jument et cinq bêtes à cornes qu'il [Ross] lui avait données. Parenteau a pris le train lundi dernier et on croit qu'il est allé à Medecine Hat. Il a dit à certaines personnes qu'il se proposait d'y demeurer trois ans. La femme de Parenteau et des deux enfants demeurent chez Ross. Ce dernier demande que le mari fasse quelque chose pour assurer la subsistance de sa femme et de sa famille, car ils sont absolument dépourvus. Parenteau avait quitté les lieux à l'insu de sa femme et de la parenté de cette dernière. » (Traduction) |