La nourriture des coureurs de bois

Tiré de Jeanne Pomerleau, Les coureurs de bois, La traite des fourrures avec les Amérindiens, Québec, Éditions J.-C. Dupont 1994, p.52-53.

Lorsqu'ils allaient en forêt à la rencontre des Amérindiens, les coureurs de bois mangeaient à même les chaudières, surtout une préparation faite de pois, de blé-d'Inde, et de pemmican, et des biscuits dont la pâte contenait surtout de la farine et de l'eau. Lorsque ces vivres manquaient, ils s'en remettaient aux produits de la chasse, mais il arriva à certaines occasions qu'ils durent se contenter de manger une mousse comestible appelée tripes de roche. Quand ils passaient à un endroit où il y avait de l'esturgeon, ils en faisaient provision et le fumaient.

Dans l'ouest canadien, les Compagnies de la Baie d'Hudson et du Nord-Ouest achetaient du pemmican aux postes de traite de Brandon House et La Souris, et plus au nord, sur l'Assiniboine, au Fort de la Rivière Tremblante et au Fort Hibernia, et plus à l'ouest, sur la Qu'Appelle, au Fort Espérance. Les employés des compagnies chassaient le bison l'été ; le pemmican, dont une partie leur était réservée et une autre destinée à la vente, devenait la nourriture de base des voyageurs qui transportaient par canots les fourrures du Nord-Ouest aux postes des Grands Lacs. Le pemmican était aussi la nourriture des hivernants, des forts ou des postes. Pour fabriquer le pemmican, la viande de bison était découpée en lanières qu'on faisait sécher deux jours sur des perches sous lesquelles on allumait un feu. Dans les Prairies, où le bois était rare, on se servait plutôt de bouses sèches de bison pour faire le feu.

Le pemmican préparé dans les postes mêmes où on le consommait était meilleur, plus propre, et l'on se servait toujours de bois pour le faire sécher. On pilait ces lanières de viande séchée et on plaçait la pâte qui en résultait dans des sacs de peau de bison de cinquante à cent livres (22,68 à 45,36 kg). À cette viande pilée on ajoutait du gras de porc, ou du suif fondu, et des « saskatoons » ou des cerises à grappe sèches. On n'y mettait ni sel ni poivre, de sorte que le goût en était assez fade. Dans ces « taureaux », comme on baptisait ces sacs, on dit que le pemmican pouvait se conserver pendant des années. On raconte que dans le pemmican dont on faisait un commerce dans les Prairies on pouvait trouver de la terre, du sable, du gravier et des mouches.

Chez les canotiers, dans une expédition qui allait de Lachine aux Grands Lacs, ou plus loin encore, c'est de nuit qu'on faisait la soupe dans une casserole en cuivre d'une capacité de huit à dix gallons (une cinquantaine de litres), sur le feu du campement. Chaque homme y versait sa pinte de pois secs, et l'on ajoutait deux ou trois livres (0,91 ou 1,36 kl) de viande et quelques biscuits par groupe de dix hommes. Le riz sauvage et le maïs pouvaient aussi remplacer les pois, puisqu'ils se trouvaient assez facilement sur place, soit chez les colons de Détroit ou chez les tribus indiennes du sud des Grands Lacs, ou dans les Prairies en ce qui concerne le riz. À l'ouest des Grands Lacs, les pagayeurs, comme les coureurs de bois en forêt, se nourrissaient aussi de pemmican aux baies de saskatoon qui abondaient alors dans les Prairies. Si l'on y ajoutait aussi de la farine, ce régal prenait le nom de « rubaboo ».