La loi de la Prairie Tiré de Gilles Martel, « Quand une majorité devient une minorité », dans Dean R. Louder et Eric Waddell (sous la dir. de), Du continent perdu à l'archipel retrouvé. Le Québec et l'Amérique française, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1983, p. 65-66. Les Métis n'avaient presque pas de gouvernement. Cependant, quand ils allaient à la chasse au bison, il se faisait naturellement, au milieu d'eux, une pression d'intérêts. Et tant pour maintenir l'ordre dans leurs rangs que pour se tenir en garde contre les vols de chevaux et contre des attaques d'ennemis (indiens), ils s'organisaient et se composaient un camp. Un chef était choisi, douze conseillers étaient élus, avec un crieur public et des guides. Les soldats se groupaient par dizaine. Tout chasseur était soldat. Chaque dizaine se choisissait un capitaine. Quand arrivait le moment de l'organisation militaire proprement dite, le chef en donnait avis : le premier soldat venu commençait par désigner celui qu'il voulait avoir pour son capitaine. Neuf de ceux qui approuvaient ce choix les suivaient. Ainsi le capitaine de chaque dizaine se trouvait-il placé à la tête de soldats d'autant mieux décidés à le suivre partout que sa charge au-dessus d'eux était un effet de leur confiance en lui et de leur choix unanime… Le conseil des chasseurs faisait des règlements. On les appelait les lois de la Prairie. Le conseil était un gouvernement provisoire. C'était aussi un tribunal qui prenait connaissance des infractions aux règlements, et de tous les différends qu'avaient à lui présenter les personnes du camp. Les capitaines avec leurs soldats exécutaient les ordres et les jugements du conseil. Dans les affaires ordinaires, le conseil agissait d'après son autorité telle qu'elle lui avait été confiée : mais en matière d'importance plus grande, il recourait au public et ne basait ses décisions que sur une majorité de tous les chasseurs. Ce gouvernement provisoire, d'un rouage simple, qui ne se formait que pour l'intérêt général, ne supportait pas d'émoluments, s'organisait partout où s'agglomérait une caravane asez considérable, et cessait d'exister avec elle ; (il) s'organisait pareillement dans tous les établissements métis où une assez grande diversité d'intérêts tendaient à engendrer des difficultés, où il y avait des dangers à conjurer, des hostilités à repousser. Pour l'ensemble, cette description de Riel correspond assez bien aux témoignages des abbés Belcourt et Laflèche que Giraud utilise. Il s'éloigne assez peu du témoignage de l'abbé Ritchot dans sa lettre à George-Etienne Cartier. Pourraient peut-être faire question le mode d'élection des capitaines et l'affirmation selon laquelle ce gouvernement s'organisait dans tous les établissements d'hivernement métis. Reste encore vague le choix du chef de ses conseillers. Enfin, il semble, comme le note Giraud, que ces moeurs métisses s'inpirent pour une bonne part des habitudes des Assiniboines et des tribus confédérées des prairies. Nous avons vu que, dès 1815, les Métis, à l'instigation de la compagnie du Nord-Ouest, avait commencé à affirmer un certain sentiment nationaliste revendiquant un droit à la propriété du sol, au titre de leur sang indien. Cinquante ans plus tard, la population métisse francophone, devenue majoritaire dans la colonie, avait enrichi et développé son sentiment d'appartenance. Et cela, grâce surtout à son expérience de la chasse aux bisons avec son « governement provisoire », sa loi de la prairie, sa discipline quasi militaire et son effervescence collective intense. Ces Métis se savaient les véritables pourvoyeurs de la colonie et de la compagnie. Ils pouvaient encore se considérer comme la seule milice des plaines et comme les intermédiaires naturels entre le monde des Indiens et le monde des Blancs. Enfin, à l'intérieur même de la colonie, leur regroupement géographique, linguistique et religieux continuait d'encadrer et d'entretenir cette conscience collective. Notons enfin, que cette tendance à l'isolement des deux groupes semble avoir été l'effet non pas du hasard, mais d'une volonté concertée. C'est du moins ce que nous apprend une lettre de la rivière Rouge publiée dans le Courrier de St-Hyacinthe, le 15 décembre 1869, et qui aurait pour auteur M. l'abbé Louis-Raymond Giroux. |