Nous assurer un local gratuit

Gabrielle Roy et al., Chapeau bas. Réminiscences de la vie théâtrale et musicale du Manitoba français, Saint-Boniface, Société historique de Saint-Boniface, vol. 2, 1985, p. 117.

Notre petit groupe d'amateurs passionnés de théâtre ne craignait pas de « perdre » son temps, soir après soir, à répéter pendant des mois une pièce du répertoire dont nous donnerions une représentation, peut-être deux, devant un public d'environ mille personnes. Le jeu nous paraissait en valoir la chandelle. Tout se déroulait dans l'ivresse, depuis la première lecture trébuchante de la pièce, jusqu'à l'apothéose où nous venions, en une gauche petite file étirée, saluer la foule accourue en grand nombre applaudir « nos » talents, comme il serait dit le lendemain dans le journal.

La difficulté principale pour nous qui étions sans ressources fut toujours de nous assurer un local gratuit pour nos répétitions. Nous avons erré ça et là jusqu'à aboutir, au cours d'un hiver assez rude, à répéter, foulard au cou, dans la prénombre d'un entrepôt mal éclairé et peu chauffé. En fin de compte, j'obtins du directeur de l'Académie Provencher, où j'étais institutrice, la permission d'utilitser ma salle de classe à cette fin.

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Une preuve que nos auditeurs de la Saskatchewan (comme ceux du Manitoba) faisaient toujours partie des « nous autres », c'est la réaction délirante de tous les auditoires à une remarque de Maurice Goulet dans « Le Chauffeur ». Une telle explosion de joie ne pouvait surgir que du tréfonds de l'âme d'un Canadien français.

À un certain moment, un personnage, couché sous l'automobile, demande au prétendu chauffeur de lui passer la clef anglaise. Comme celui-ci ignore tout de la mécanique, il est très embarrassé. En fouillant dans un tas d'outils, il découvre la pompe à air. Il se met à la faire fonctionner, s'envoie quelques jets d'aire dans la figure, puis tout à coup s'exclame : « Ça doit être anglais ; ça … c'est tout p'tit et c'est plein d'vent ! »