Ottawa : une francophonie double, suite

Cette francophonie d'Ottawa s'est vue en grande partie disperser par les rénovations urbaines. Elle s'est installée dans les banlieues, où elle n'a guère trouvé de tissu social et culturel familier, ou encore elle est passée du côté québécois. Cet « autre côté de la rivière » développe une vie bien à lui, souvent parallèle à celle d'Ottawa, enrichissant les échanges tant professionnels et commerciaux qu'artistiques et culturels. Certains affirment que le centre de gravité de la vie française se déplace nettement d'Ottawa vers Hull.

Les statistiques révèlent que les francophones de la région métropolitaine de recensement d'Ottawa s'anglicisent selon un taux net moyen de 15.6 % et que les groupes d'âge de 20 à 54 ans sont les plus affectés. (…) La rétention du français à Ottawa est pourtant supérieure à celle de l'Ontario en général. L'apport direct de la migration francophone du Québec y est pour quelque chose : notamment dans la ville d'Ottawa, les Franco-Ontariens de langue maternelle française nés au Québec comptent pour 25.2 % (1971) des personnes de langue maternelle française et pour 31.4 % si l'on ne considère que ceux de 20 ans et plus. (…) Cet apport francophone québécois s'anglicise moins rapidement que les Franco-Ontariens nés en Ontario ou ailleurs.

La vie culturelle et artistique francophone de la région métropolitaine d'Ottawa apparaît très diversifiée. Les paroisses et les écoles restent des milieux de rencontres et des foyers d'activités, de même que les nombreux clubs sociaux, clubs d'âge d'or, associations locales et comités de citoyens. Au centre Le Patro se retrouvent aussi bien les enfants que les groupes d'âge d'or pour participer aux programmes sportifs et socio-culturels. Les trois succursales du Studio des Jeunes et Art-Jeunesse regroupent une jeunesse active en plein apprentissage des moyens artistiques d'expression. Malgré un certain manque de stabilité, le centre culturel Le Vieux Clocher renaît périodiquement pour offrir tantôt des ateliers, tantôt des spectacles de chansonniers. La Coopérative artistique de l'Outaouais tente d'offrir à ses membres un milieu de travail et une salle d'exposition. Le conseil régional Ottawa-Carleton de l'ACFO, en collaboration avec de multiples organismes locaux, tel l'Institut culturel et social de Vanier, a organisé en 1977, à partir de l'expérience des semaines françaises des années passées, un Festival franco-ontarien qui a remporté un vif succès.

Des groupes de théâtre s'orientent non plus seulement vers un répertoire classique, mais aussi du côté de la création, collective ou individuelle, à partir des données du milieu : les efforts du groupe du Théâtre de la Corvée témoignent fort bien de cet esprit. L'Atelier mise sur l'ouverture de la salle de la Place du Marché pour offrir une programmation à teneur régionale en collaboration avec la Compagnie des Filles du Roy et la Coopérative des Chansonniers de l'Outaouais. La Compagnie des Lutins, troupe de théâtre de tournée, produit des spectacles pour enfants. L'Université d'Ottawa, par ses divers programmes d'animation communautaire et culturelle tels la Comédie des Deux Rives, une troupe du Département de théâtre français, et les spectacles organisés à l'Agora et l'Odéon, s'ouvre de plus en plus à la communauté francophone. Le Collège Algonquin et le Cégep de l'Outaouais à Hull effectuent une démarche parallèle, sinon plus active. Jusqu'à une période toute récente, le Wasteland, café-rencontre parrainé par l'Université d'Ottawa, a joué un rôle capital en fournissant à bien des artistes de la région leur premier public.

Dans le domaine des arts visuels, de plus en plus d'artistes exposent leurs oeuvres à la Galerie Rodrigue Lemay, à la Galerie Multi-Arts, ou au Foyer de l'Hôtel de Ville, ainsi qu'aux expositions périodiques organisées par diverses associations. La Galerie de l'école De La Salle et celle du Collège Algonquin jouent un rôle d'avant-garde de galeries éducatives.

La radio et la télévision s'ouvrent peu à peu à la réalité régionale en présentant quelques productions outaouaises de théâtre, de musique et de chansons. La télévision communautaire offre aussi des possibilités de ce genre. De rares cinéastes ont même quelques productions à leur crédit.

Au plan de l'expression littéraire, des périodiques comme « La Pulpe-Graffiti » et « Ovul » ont disparu. Il y a néanmoins quelques publications à compte d'auteur et la revue « Ébauches » se fait de plus en plus l'écho de la vie artistique des Francophones de toute la province.

On peut donc conclure qu'il existe à Ottawa une véritable francophonie outaouaise, enracinée dans le vécu social et culturel du milieu, et qui se manifeste sur le plan artistique de façon créatrice et variée. C'est bien à cet égard qu'Ottawa peut être considérée la métropole culturelle des Franco-Ontariens.

Tiré de Pierre Savard, P. Beauchamp et P. Thompson, Cultiver sa différence. Rapport sur les arts dans la vie franco-ontarienne, Ottawa, Conseil des arts de l'Ontario, 1977, p. 60-63

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