L'historique du Collège
L'incendie (deuxième partie)  
Les pertes humaines et matérielles
Les causes de l'incendie : enquêtes et mystère  
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Photos de l'incendie  
Témoignages  

 


Père Euclide Gervais

St. Boniface
2 décembre 1922

Révérend F. Arthur Tremblay
Immaculée-Conception

Bien cher frère Tremblay,

... Vendredi soir, nous avions eu une petite séance très bien réussie, dite de la Ste Catherine, autrement dite des philosophes, et nous étions montés au dortoir ver les 11h00.

Vers 2h15 du matin, je suis éveillé par une odeur de fumée toute particulière, je me lève en sursaut et ouvre immédiatement la porte de la tour, ouvrant tout près de mon alcôve. Le tout (escalier servant de communication entre la salle de recréation, le dortoir et les étages intermédiaires) le tous dis-je, était remplie de fumée. Le feu était à la maison, pas de doute. Je referme la porte, je sonne la cloche en allumant les lumières et je dis aux élèves: "Levez-vous, habillez-vous, dépêchez-vous". J'ai pensé de crier "au feu", mais je craignais une panique et d'ailleurs je voyais avoir le temps de descendre par le sauvetage assez facilement qu"il n'y avait encore que très peu de fumée dans le dortoir. J'oubliais de vous [dire] qu'au moment où je fermais la porte. J'entendis vers le milieu du dortoir une détonation formidable qui ébranla toute la maison.

Pour revenir à mes aventures, j'étais à peine entré dans mon alcôve pour me couvrir que la lumière s'éteint. Alors je pars en attachant ma soutane vers le sauvetage et j'appelle les enfants. Au milieu du dortoir je rencontre M. DeVarennes, mon assistant qui avait couru éveillés l'autre dortoir. Il entrait avec un nuage de fumée. Il monte donc sur le sauvetage pour aider les enfants à descendre, pendant qu'en bas de la fenêtre, je les pousse et les empêche de se bousculer et de s'écraser, grands et petits s'engouffrent dans la fenêtre. En quelques minutes, les dortoirs sont vides. Alors, je monte à mon tour, après avoir appelé à plusieurs reprises, s'il n'y avait plus personne, mais silence complet. Pris entre deux fumées celle du dortoir et celle du sauvetage, je crus que c'était le temps de déguerpir ce que j'ai fait. Je me suis reproché de ne pas être descendu auparavant dans le dortoir et d'avoir fait le tour. J'y aurais peut-être laissé ma peau, mais c'aurait été une occasion de mourir glorieusement. Au reste, j'aurais peut-être pu sauvé nos deux petites victimes. J'avais un projecteur électrique dans mon alcôve, si j'avais pu mettre la main dessus j'aurais pu me rendre contre 'de visée' du vide du dortoir. Sans l'excitation que cause un incendie si rapide, on ne peut penser à tout et il est bien permis d'oublier quelque chose.

Les élèves se sont sauvés en robe de nuit et nous les avons conduit les uns au petit Séminaire les autres à l'école Provencher.

Pendant tout mon remue-ménage, le P. Lacouture avait sonné la cloche électrique, qui avait éveillé, à peu près tout le monde.

Le. P. Dubé avait couru en hâte en chimie, mais avait rebroussé chemin, la fumée l'étouffait. Le P. Porcheron toujours original, avait descendu sa double fenêtre et s'était laissé coulé le long d'une dalle à trois pieds de sa fenêtre. Le P. Dubé a fait un saut périlleux. Il est monté sur le cadre de sa fenêtre et s'est jeté dans l'espace pour attraper le sauvetage qui est à la chambre voisine. Il a saisi le bas du mains et de l'autre, il a pu attraper celles que lui tendaient le P.P. Villeneuve et Bellerose qui surveillaient. Le P. Dechêne a sauté par la cuisine entraînant avec lui le P. Barrette. Le P. Mullaly a dû attendre 20 minutes, dans sa chambre, le P. Bellerose a vu son mouchoir dans la fumée alors, il a demandé aux pompiers de tendre une échelle mais malheur, elle n'allait qu'à dix pieds de la fenêtre. Alors le P. Mullaly s'est jeté par la fenêtre et a pu s'accrocher aux barreaux, pendant que le P. Recteur descendait par l'autre côté de l'échelle. Le P. Bournival a attendu longtemps qu'on lui tendu une échelle et enfin a pu descendre. Le F. Stormont n'a pas été aussi heureux. On lui a tendu une échelle, mais une 'échelle de pompier' ça n'allait pas au 3ieme. Il aurait eu le temps de sauver 10 f si les pompiers avaient été outillés, mais la veille, dans une rencontre dit-on, ils avaient brisé leurs grandes échelles et leur paniers. Passe pour leurs échelles mais leur paniers! S'ils les avaient eu, ils auraient pu eu recevoir un grand nombre d'autres que se sont jetés par les fenêtres, se blessant.

La fumée s'est répandu comme un foudre et en quelques minutes ou secondes plutôt avait rempli tous les corridors.

Le feu avait commencé après deux heures et à 3h00 ce n'était plus qu'un horrible brasier: tout s'effondrait. Quelle est la cause de cette catastrophe? On l'ignore encore. Peut-être serait-ce un incendiaire? L'explosion s'expliquait d'abord par les bouilloires des fournaises mais elle sont intactes. Ce n'est pas non plus de la chimie. A ce moment; elle n'était pas atteinte et ce n'est pas de là que venait la détonation. L'enquête se poursuit: nous y passions tour à tour, le mien est déjà venu et je m'en suis bien tiré.

Les classes sont rouvertes et on se tire d'affaire comme on peut. Il manque beaucoup de livres: grammaires latines et grecques, dictionnaires, exercices pour ne parler que des plus nécessaires. Tout à brûlé, ça s'explique: les livres des élèves comme les nôtres. On n'en refuserait d'aucune sorte si vous nous en envoyiez de même que des crucifixs, des chapelets, des barrettes, des soutanes etc. bien heureux qui peut se vanter d'avoir aucun de ces objets: nous sommes dans la pauvreté réelle: ce n'est plus de la théorie. Le monde s'est montré bien charitable: les secours sont venus de partout, mais ce n'est pas toujours [mots latins illisibles] au dépit de la bonne volonté.

J'en aurais encore long mais j'ai charge de la récréation ici, et la cloche va m'appeler.

Boujours, pensez à nous,

Euclide Gervais s.j.

Source : Père Euclide Gervais. Lettre à F. Arthur Tremblay. 2 décembre 1922. (Archives de la Compagnie de Jésus, B0-13, 17, 6.4)

 

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