L'historique du Collège
L'incendie (deuxième partie)  
Les pertes humaines et matérielles
Les causes de l'incendie : enquêtes et mystère  
Les lendemains  
 
Photos de l'incendie  
Témoignages  

 


Laurent Tétrault

St-Boniface, Man.
le 26 novembre, 1922

M. et Mme Louis Tétrault,
La Broquerie, Man.

Bien chers parents,

Vous avez sûrement déjà reçu la nouvelle du désastre survenu hier matin, durant la nuit. Mais je veux tout de même vous le raconter plus en détails.

Le 24, au soir, il y eut la séance des philosophes au Collège; nous nous sommes bien amusés et les 6 philosophes du Séminaire, nous sommes restés quelque temps après la séance avec les autres philosophes. Puis vers 11 heures nous nous sommes séparés en nous promettant de bien nous amuser ce lendemain car nous devions avoir grand congé de sortie en l'honneur de Ste-Catherine notre patronne. Nous retournons au Séminaire et nous nous couchons passablement fatigués. Le sommeil ne tarda pas à arriver.

Tout à coup je me sens réveiller ,mais pas au son d'ordinaire; c'était mon compagnon qui me dit aussitôt: "Le Collège brûle!" Mon lit est tout près d'une fenêtre qui donne du côté du Collège. Aussitôt je tourne la tête de ce côté et je vois un spectacle cent fois plus terrible que j'aurais jamais pu m'imaginer. Le feu n'était pris que depuis 20-30 minutes et déjà la moitié du Collège était tout en flammes. Le feu sortait par toutes les fenêtres de cette partie là, et aussi sur le plafond et se lançait dans l'air à une hauteur prodigieuse. Toute la ville se trouvait illuminée, et nous pouvions voir dans cette clarté rougeâtre et sinistre le monde courir vers le lieu du désastre. L'ambulance passait et repassait sans cesse pour transporter les blessés à l'hôpital car le feu s'est propager [sic] rapidement qu'un grand nombre ont sauvé leur vie qu'en sautant du troisième et quelques-uns même du quatrième étage.

Du côté ouest (c'est le côté opposé d'où le feu a pris) la fumée était si épaisse quelques-uns ont été asphyxiés. Deux père jésuites sont tombés juste dans la porte de chambre d'un autre père où la fumée était moins épaisse. Le dernier s'apprêtait à sortir par la fenêtre quand il entendit la chute d'un corps près de sa porte. Alors il est retourné et a pu les sauver. Il y avait trois dortoirs au Collège et du côté où le feu a pris, c'était le dortoir des petits. Le surveillant s'étant aperçu que le feu était au Collège, sonna la cloche et leur dit de s'habiller au plus vite, mais presque aussitôt les lumières s'éteignirent le fil se trouvait brûlé en bas. Tous se précipitait [sic] vers l'échelle de sauvetage. La respiration était déjà difficile à cause de la fumée. Les surveillants et quelques grands se dévouèrent et parvinrent à sauver presque tous [sic] ce monde. Un petit garçon d'une douzaine d'année [sic] qui est ici maintenant me racontait qu'un peu avant d'arriver à l'échelle de sauvetage, il était tombé étouffé par la fumée et n'était revenu à lui qu'une fois rendu au Séminaire; c'est un grand qui l'a descendu dans ses bras. Il y eut vraiment des héros; les uns se sont sauvés après en avoir sauvé bien d'autres, mais malheureusement d'autres sont morts en héros en essayant d'en sauver d'autres.

Parmi ces derniers, William Taylor, de St-Boniface, s'était rendu à l'échelle de sauvetage avec ses deux frères qu'il avait trouvé. Mais il entendit des cris venant du dortoir des petits, alors il s'élança de ce côté dans l'espoir de les sauver, mais presqu'aussitôt ce plancher tomba et il fut précipité jusqu'au fond dans un tourbillon de flammes.

Jusqu'à présent on croit qu'il y en a une dizaine de brûlés. C'est très difficile à savoir, car à mesure qu'ils descendaient du dortoir, comme ils étaient en robes de nuit, chacun se réfugiait de son côté; les uns chez des parents, d'autres chez des amis, d'autres enfin au Séminaire et au Juniorat. On s'aperçoit de la disparition d'un élève lorsque les parents, les mères en pleurs viennent les réclamer et font des recherches partout aux alentours dans l'espoir de les trouver réfugiés dans quelques maisons du voisinage. C'est vraiment douloureux de voir ces pauvres mères chercher leur enfant la mort dans l'âme, mais gardent toujours quelque espérance, si petite soit-elle.

Jusqu'à présent on a retrouvé six ou sept corps ou plutôt des restes tout calcinés et absolument méconnaissables.

Les débris fument encore et aujourd'hui on a jeté à terre tous les murs, car étant en brique ils étaient restés debout, excepté vis-à-vis du laboratoire de chimie, où il y avait des matières encore beaucoup plus dangereuses que la poudre quand le feu atteignait cette partie là, il y eut une explosion terrible, tout ce qui était autour sauta. C'était effrayant à voir. Cette bâtisse énorme: 4 étages et beaucoup plus longue que le Séminaire, et absolument tout en flammes. Tant que je vivrai je me souviendrai de ce spectacle vraiment grandiose et terrible.

Vous dire l'émotion qui m'étrennait tout le temps que je regardais cet immense incendie, est à peu près impossible: on ne peut rester insensible en voyant brûler une maison où l'on a étudier pendant six ans, et surtout dans de telles circonstances.

27 nov. Maintenant il me reste à vous dire ce que nous allons faire. Ce matin la plupart des Collégiens se sont rendus au Séminaire où on a préparé des classes et des places au dortoir, réfectoire, étude pour environ 70 nouveaux élèves, c'est-à-dire que nous serons à peu près 130. Je vous assure qu'on est pas mal tassés, mais nous ne songeons pas à ces petits inconvéniences après avoir passés par de si terrible malheurs. Maintenant ça va être assez difficile de continuer les classes vu que tous les collégiens ont perdu leurs livres; moi-même j'ai perdu pour une dizaine de piastre de livres. On va essayer de s'arranger avec l'Université pour être exemptés au moins de quelque examens avant Noël.

Cela va être décidé aujourd'hui et demain on va essayer de faire les classes. Ce matin à 9.30 heures il y eut l'appel de tous les élèves du Collège, Sém. et Jun. Ceux qui étaient présent répondaient pour ceux qu'ils avaient rencontrés après le désastre. Quelque fois un disait un nom et personne ne répondait: personne ne l'avait vu après l'incendie; c'était vraiment émotionnant.

Mais il faut que je termine, soyez assurés que je ne vous oublie pas et que je prie le Bon Dieu pour vous venir en aide dans les difficultés où nous passons.

Votre fils qui vous aime,

Laurent

Source : Laurent Tétrault. Lettre à ses parents. 26 novembre 1922. (Lettre empruntée de Gertrude Dubé, sœur de Laurent Tétrault).

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