L'historique du Collège
L'incendie (deuxième partie)  
Les pertes humaines et matérielles
Les causes de l'incendie : enquêtes et mystère  
Les lendemains  
 
Photos de l'incendie  
Témoignages  

 


RECIT DU SINISTRE PAR UN PERE DU COLLEGE

Bien cher Père,

Vous avez appris les tristes événements de ces jours derniers. Notre collège n'est plus; neuf de nos enfants ont péri dans les flammes ainsi que notre bon frère Stormont. Selon nous, le feu a commencé par une explosion, et, en une dizaine de minutes tout le collège flambait.

Nous eûmes à peine le temps de sortir, les uns par les fenêtre, les autres par les appareils de sauvetage. Des élèves sautèrent même du troisième étage; ils se portent assez bien à l'hôpital. Des enfants qui ont péri, quelques-uns n'ont pas osé risquer un saut de huit ou dix pieds. A l'un d'eux on offrit jusqu'à trois moyens de salut, mais il avait perdu la tête et criait en courant sur le toit.

Il y eut de beaux actes de dévouement, et même de l'héroïsme. Les surveillants ont fait les choses merveilleusement. Ils ont exposé leur vie à plusieurs reprises et pendant longtemps, courant sur le plancher en feu des dortoirs pour sauver tel ou tel enfant qui persistait à ne pas vouloir sortir du lit;-il y avait trois heures à peine que les élèves s'étaient couchés. Les flammes envahissaient les dortoirs, et quatre ou cinq petits restaient encore. Un vaillant auxiliaire, M. Beaulac, réussit à les transporter un par un à un appareil de sauvetage ou M. Réal de Varennes se tenait et faisait descendre bon gré mal gré les pauvres enfants qui voyaient les flammes au-dessous d'eux et se croyaient perdus. Nos auxiliaires, comme nos Pères, ne songeaient pas à eux-mêmes; ils ne pensaient qu'aux enfants.

Les grands élèves ont été admirables de tenue et de sang-froid. Quelques-uns se firent les sauveteurs de leurs camarades, malgré le danger imminent, en dépit de la fumée épaisse et empoisonnée.

On croit que c'est en sauvant les autres que Arthur Taylor périt. Il avait réussi à remonter au dortoir par l' appareil de sauvetage.

Hier soir, je reçus la visite de M. Bouvier, père de mon pauvre Lionel. "Et mon enfant, dit-il en pleurant, nous ne l'avons pas encore retrouvé!..." C'était bien triste; mais il était encore plus beau de voir la résignation chrétienne du père. Pour le consoler, je lui rappelait de doux souvenirs sur la vie de son fils: Sa résolution inébranlable de devenir prêtre, malgré ses maux de tête et son âge avancé, - il commençait ses éléments latins à seize ans, - sa charité pour tous, surtout pour les pauvres, sa dévotion à l'Eucharistie qu'il recevait tous les jours. Le pauvre père comprit que le bon Dieu s'était contenté des désirs de son fils et qu'il l'avait appelé à lui au moment où il se dévouait pour sauver ses jeunes camarades.

Ce matin, Monseigneur l'Archevêque nous fit recommencer les classes au Petit-Séminaire. On fit d'abord l'appel. Que c'était triste! Sur mes quarante élèves, il m'en restait vingt-huit Et les autres?...Pauvres petits enfants! Comme ils nous aimaient ce matin! Ils nous regardaient les larmes aux yeux. Je fis un semblant de classe dans un bout de corridor. Je voulus commencer la prière mais j'en fus incapable: j'étouffais...je pensais à mon Bouvier. Je fis signe à mes élèves de s'asseoir. Pour me donner contenance et ne pas pleurer, je pris simplement les noms des absents. puis je leur parlais de Lionel: "Aviez-vous au collège un plus beau modèle? Quand l'avez-vous entendu parler mal ou critiquer? Avez-vous remarqué la belle somme que produisait souvent notre quête hebdomadaire pour les pauvres?…Eh! bien, c'est Lionel qui, après la classe, allait furtivement chez le Père Spirituel et, tout en exigeant le secret, ajoutait quelquefois une piastre à ce que vous aviez donné en classe. Non seulement il donnait, mais il voulait se donner: il s'offrait souvent en secret à m'aider à faire certains travaux. - Il voulait tellement se donner, m'a dit son père, que je m'était déjà fait à l'idée de le voir missionnaire, loin de nous... - Eh! bien, tout cela est beau, mais... c'est un prêtre de moins. Qui va le remplacer?...

Mais, il est temps d'arrêter. Il est minuit. Excusez le tout. Je voulais vous parler de mon Bouvier. Vous pourrez le donner comme exemple à vos enfants, même à vos grands.

Bien à vous en Notre-Seigneur.

Source : "Récit du Sinistre par un Père du Collège." Les Cloches de Saint-Boniface 21:12
(décembre 1922) : 231-232.

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