Le fait français en Ontario, suite

Nous n'entrerons pas dans le débat sur les mérites et les faiblesses respectifs des deux formulations de la question sur la langue maternelle. On peut toutefois mentionner que le changement de formulation a eu pour conséquence de permettre de quantifier deux modalités différentes (pas nécessairement exclusives) de l'acquisition du français et de l'anglais comme langues maternelles en communauté franco-ontarienne (pour s'en tenir au cas prédominant du français et de l'anglais comme langues maternelles). La première modalité consiste en l'acquisition du français au foyer combinée à l'acquisition quasi simultanée de l'anglais en dehors du foyer par le biais de l'interaction avec des anglophones dans l'environnement immédiat (p. ex. à la garderie). La deuxième modalité consiste en l'acquisition simultanée de l'anglais et du français au foyer, soit parce que les parents forment un couple mixte (cf. plus bas), soit parce qu'ils sont bilingues (ou l'un d'entre eux est bilingue) et qu'ils ont décidé de parler dans les deux langues à leur(s) enfant(s). À supposer qu'il y ait eu peu de changements de 1986 à 1991, on peut, en retranchant les 31 395 cas d'acquisition simultanée du français et de l'anglais au foyer révélés par le recensement de 1991 des 96 910 cas d'acquisition simultanée du français et de l'anglais au sens large (recensement de 1986), estimer le nombre des Ontariens qui ont acquis le français selon la première modalité à environ 65 000 personnes.

On retiendra de l'ensemble des statistiques sur la langue maternelle produites par les deux derniers recensements que la pression de l'anglais se manifeste très tôt dans la vie d'un nombre non négligeable de Franco-Ontariens, puisqu'en acquérant le français avec l'anglais dans leur tendre enfance, près d'un quart d'entre eux se trouvent dans ce qu'on pourrait appeler une situation de bilinguisation précoce.

En combinant les statistiques sur la langue maternelle avec celles sur les origines ethniques, on peut calculer un taux de maintien du français qui a l'intérêt de nous fournir une mesure diachronique de la préservation du français comme langue maternelle. Ainsi, les données du recensement de 1986 ont révélé que près de 26 pour cent des 531 805 Ontariens d'origine ethnique uniquement française n'ont plus le français comme langue maternelle et donc n'appartiennent plus à leur communauté linguistique d'origine (la plupart déclarant l'anglais comme langue maternelle). Par contraste, au sein des 512 570 Ontariens d'origine française et britannique, le taux de perte du français était de 88 pour cent (on verra plus bas que les unions mixtes n'entraînent pas seulement l'acquisition simultanée du français et de l'anglais, mais aussi, et plus fréquemment, la transmission exclusive de l'anglais). Il est indéniable que ces calculs témoignent du fait que la population ontarienne d'origine canadienne-française a subi une érosion considérable de son héritage linguistique. Cependant, il est remarquable qu'elle se situe dans un ordre de grandeur qui est proche de celui qui a affecté les Québécois d'origine britannique (en 1986, 24 pour cent des Québécois d'origine ethnique uniquement britannique avaient perdu l'anglais comme langue maternelle), communauté qui passe pour réfractaire à la francisation.

Terminons cette section consacrée à la langue maternelle en mentionnant que si les statistiques des deux derniers recensements sur la langue maternelle sont plus précises que celles qui ont été recueillies auparavant, elles sont encore loin de rendre compte de la complexité des modalités de l'acquisition de la/des langue(s) maternelle(s) en communauté franco-ontarienne. Ainsi, à la lumière des résultats d'une enquête réalisée en début de scolarité dans plusieurs écoles franco-ontariennes, qui montre que la fréquence d'emploi du français et de l'anglais par les parents et leurs jeunes enfants au foyer et par ces mêmes enfants en dehors du foyer est fort variable, on est en droit de supposer que l'ensemble des cas d'acquisition précoce et simultanée du français et de l'anglais qui ont été mis au jour par le recensement, forment en réalité un continuum qui va de la dominance du français sur l'anglais à la dominance de l'anglais sur le français en passant par des patrons d'acquisition plus équilibrés.

(La suite se trouve dans le document suivant.)

Tiré de Raymond Mougeon, «  Perspective sociolinguistique sur le comportement langagier de la communauté franco-ontarienne  », Jacques Cotnam, Yves Frenette et Agnès Whitfield, (sous la dir.), La francophonie ontarienne. Bilan et perspectives de recherche, Ottawa, Le Nordir, 1995, p. 223-224.

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