Les jumelles Dionne

Une grande famille

L'image de la famille nombreuse a souvent servi à illustrer les pratiques culturelles archaïques de la société canadienne-française en général et de la famille Dionne en particulier. On voulait ainsi prouver que les Dionne étaient non seulement de pauvres petits fermiers, mais aussi des gens satisfaits d'être des machines-à-enfants. Ces préjugés prennent leur source dans la préférence de la classe moyenne pour des familles plus petites et la croyance qu'avoir un grand nombre d'enfants est vulgaire, primitif, et prouve l'appartenance aux classes inférieures. Vu son taux de natalité plus élevé, la population canadienne-française cadrait donc avec ce stéréotype. L'hostilité à son endroit venait aussi de la peur qu'elle n'en vienne à surpasser ainsi la majorité anglophone, surtout dans des régions comme le Nord-Est. Après la naissance des quintuplées en 1934, le Globe and Mail alla jusqu'à déclarer que « ces nouveaux-nés vont faire resurgir les appréhensions par rapport à la descendance canadienne-française dans le nord de l'Ontario ». C. F. Silcox, qui devait plus tard témoigner dans le procès intenté en 1937 à Dorothea Palmer pour la diffusion de renseignements sur le contrôle des naissances, affirma : 

Derrière ce grand problème, il y a I'extraordinaire fécondité des Canadiens français et le soupçon qu'ils tentent délibérément de surpasser les anglophones, même s'ils vont peut-être ainsi réduire leurs niveaux de salaire et de vie, et tout ce qui en dépend.

Le sentiment anti-francophones était alimenté par le fait que, malgré la Crise, la population totale de l'Ontario avait augmenté de 10 % entre 1931 et 1941, tandis que la population francophone, composée surtout de jeunes(naissances et émigration du Québec), avait grimpé de 25 % durant la même période.

La réalité ne se conformait toutefois pas entièrement aux stéréotypes. Il est vrai que l'Église catholique continuait à faire pression sur la population canadienne-française pour qu'elle ait beaucoup d'enfants. Le taux de natalité avait néanmoins déjà commencé à chuter, surtout dans les villes. Les familles y subissaient moins l'influence de l'Église et avaient accès aux renseignements sur le contrôle des naissances. De plus, les enfants n'y étaient plus un atout sur le plan financier. Le taux de natalité des francophones restait élevé au Canada là où les enfants avaient encore un rôle économique à l'intérieur de la famille. Dans le nord-est de l'Ontario et le village de Corbeil, les enfants, loin d'être un fardeau, se rendaient utiles en participant à l'économie mixte agroforestière. Dès le jeune âge, ils travaillaient sur la ferme avec leurs parents. Ils s'en occupaient avec leur mère quand leur père était parti dans les camps de bûcherons. Le taux plutôt élevé de mortalité infantile était aussi un facteur d'incitation aux familles nombreuses. A ces facteurs s'ajoutaient les pressions de l'Église et la position subordonnée des femmes dans le couple. La famille nombreuse était donc la norme acceptée.

Tiré de David Welch, « Les jumelles Dionne : cinq petites Franco-Ontariennes dans un contexte d'exclusion sociale », Monique Hébert, Natalie Kernoal, Phyllis Leblanc (sous la dir.), Entre le quotidien et le politique : Facettes de l'histoire des femmes francophones en milieu minoritaire, Ottawa, Le réseau national d'action femmes, 1997. Traduction, Denise Veilleux.

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