Les jumelles Dionne
La société réagit
L'intérêt de la communauté
franco-ontarienne se manifesta davantage après l'adoption du
Dionne Quintuplets Guardianship Act en mars 1935. Par cette loi,
le gouvernement provincial faisait des quintuplées des pupilles
de la Couronne jusqu'à leur dix-huitième anniversaire.
Il semblerait que, durant la période entre la naissance des quintuplées
en mai 1934 et l'adoption de la loi, la population canadienne-française
acceptait en général que ces dernières avaient
besoin de soins médicaux spéciaux pour survivre, ce qui
pouvait signifier leur isolement du reste de la famille pendant plusieurs
mois. Elle présumait qu'elles seraient rendues à leurs
parents dès que le permettrait leur état de santé.
Cependant, la loi de 1935 devait empêcher la réunification
de la famille en les confiant à la Couronne pendant 18 ans. À
partir de ce moment, s'amorcent les vrais efforts de mobilisation.
[…]
Un éditorial publié dans
Le progrès de HulI le 17 mai 1935 exprime peut-être
le plus clairement les préoccupations des Canadiens français.
L'auteur reconnaît d'abord que l'aide de nombreuses personnes
a permis aux bébés de survivre, mais poursuit en déclarant
que :
[...] quelles que soient les causes
de leur survivance, ils sont les enfants de leur mère et de leur
père, qui ont ce droit chrétien et naturel de les élever
à leur manière, comme ils élèvent leurs
autres enfants, et que même l'état, pas plus qu'un individu,
n'a le droit de s'en emparer, de les arracher à leurs parents.
Faisant ensuite allusion à Elzire
Dionne, il mentionne que:
Le résultat immédiat est
que leur mère, une bonne mère canadienne-française,
qui a du coeur et qui, parce qu'elle aime ses enfants ne veut pas les
élever à l'anglaise en les confiant à une « nurse »
où à une « maid » , souffre un martyr
continuel de se voir ainsi privée de l'affection de ses petites,
de se voir, elle la mère, poussée au deuxième,
troisième et quatrième rang ; méprisée,
ignorée, insultée même.
L'éditorial ajoute à propos
d'Oliva Dionne que :
[…] tout cela (la protection des quintuplées)
peut être accompli tout en plaçant les cinq jumelles dans
un foyer confortable ou M. Dionne sera le chef comme ça doit
être dans un foyer chrétien où Mme Dionne remplira
dignement son rôle de mère.
ce qui fait ressortir clairement la réalité
de l'autorité patriarcale dans la famille et le rôle subordonné
de la mère. L'éditorial parle ensuite de la place des
membres de la famille élargie dont beaucoup ont fait des études
supérieures et sont donc en mesure d'affirmer que « la
famille Dionne peut faire le travail d'éducation auprès
des enfants mieux que des gardes-malades [sic] indifférentes
et désintéressées, mieux que des tuteurs salariés
».
Enfin, l'éditorial se termine en
disant qu'accuser les parents de vouloir profiter de leurs filles :
[...] c'est insulter publiquement toute
une race, une des races les plus nobles, les plus dévouées
et consciencieuses de tout le continent américain. C'est oublier
ce que furent les mères canadiennes-françaises dans le
passé, ce qu'elles sont encore aujourd'hui.
Cet article exprime sans équivoque
la vision sociale de la majorité de la population canadienne-française
à l'époque. On pensait par-dessus tout que l'État
allait à l'encontre du droit naturel en s'ingérant dans
la façon d'élever les enfants, car les parents en ont
la garde.
Tiré de David Welch, « Les
jumelles Dionne : cinq petites Franco-Ontariennes dans un contexte
d'exclusion sociale » , Monique Hébert, Natalie Kernoal,
Phyllis Leblanc (sous la dir.), Entre le quotidien et le politique :
Facettes de l'histoire des femmes francophones en milieu minoritaire,
Ottawa, Le réseau national d'action femmes, 1997. Traduction,
Denise Veilleux.

|