Les jumelles Dionne

Un père capable

Malgré ce qu'on a souvent écrit, les Dionne n'étaient pas de pauvres petits fermiers. Oliva Dionne, né le 27 août 1903 à Corbeil, avait étudié pendant neuf ans à une époque (1929) où seulement 2,5% de la population franco-ontarienne avait terminé une huitième année, par comparaison à seulement 8 % des élèves de toute la province. Il avait fréquenté l'école à Callander et avait appris un peu l'anglais. Il était donc plus instruit que la plupart des gens en Ontario. Il différait aussi des hommes canadiens-français du Nord-Est qui, après quelques années d'études, devenaient ouvriers salariés afin d'amasser suffisamment d'argent pour acheter une terre. Quand Oliva eut terminé ses études, il dut travailler sur la ferme de son père ; durant l'hiver, il faisait la trappe et la chasse. À une époque, il s'occupait de l'entretien des chemins pour la compagnie Canadian Northern Railway. En 1925, peu après son mariage avec Elzire Legros, alors âgée de 16 ans, il versa 6 000 $ à son père pour une ferme de 195 acres, soit une forte somme à l'époque. Alors que les gens avaient peu d'argent liquide et bon nombre dépendaient d'une forme d'aide gouvernementale, Oliva Dionne n'avait aucune dette et possédait même une voiture. Contrairement aux images stéréotypées qui présenteront plus tard les Dionne comme de pauvres fermiers canadiens-français ignorants, leur situation financière était relativement bonne, du moins par comparaison à celle de leur communauté, de leur région et probablement même de la province.

La famille Dionne était pour le moins patriarcale : la terre, la voiture et les machines agricoles appartenaient à Oliva. Il prenait les décisions financières importantes pour la famille et rien ne laisse penser qu'il demandait l'avis d'Elzire à propos des affaires du ménage. D'après des entrevues avec l'une des filles plus âgées (Thérèse), Luce Lapierre trace un portrait assez favorable d'Oliva Dionne. Elle le présente comme un homme proche des siens, même s'il parlait peu, était fier et agissait en patriarche. Toutefois, une publication récente rédigée à partir d'une série d'entrevues avec les trois quintuplées encore vivantes donne de lui une image très négative. Il est non seulement accusé d'avoir abusé sexuellement de certaines quintuplées après leur retour dans la famille en 1943, mais il est aussi décrit comme un père dominateur, insensible, soupçonneux et rempli de ressentiment contre les quintuplées. Contrairement à sa femme, il était instruit, parlait anglais et avait travaillé en dehors de Corbeil dans sa jeunesse. Il avait donc été plus en contact avec le monde extérieur. Ceci devait lui donner plus de poids dans les négociations subséquentes pour la garde des quintuplées et augmenter la dépendance de sa femme lorsqu'il deviendrait porte-parole de la famille.

Tiré de David Welch, « Les jumelles Dionne : cinq petites Franco-Ontariennes dans un contexte d'exclusion sociale », Monique Hébert, Natalie Kernoal, Phyllis Leblanc (sous la dir.), Entre le quotidien et le politique : Facettes de l'histoire des femmes francophones en milieu minoritaire, Ottawa, Le réseau national d'action femmes, 1997. Traduction, Denise Veilleux.

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